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La maladie de Crohn : comment fonctionne-t-elle ?

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L'épithélium intestinal est exposé à tous les éléments en circulation dans la lumière de l'intestin. Il peut-être par conséquent l'objet de lésions, causées notamment par des micro-organismes pathogènes ayant réussit à arriver jusque là. Chez un individu sain, le déroulement de la réponse immunitaire innée, rapide et efficace, dans le tractus gastro-intestinal, permet d’éliminer les agents pathogènes en circulation dans celui-ci. De nombreux médiateurs chimiques sont produits par les cellules de l'immunité et les tissus infectés afin d'attirer les neutrophiles (cellules phagocytaires et émettrices de signaux chimiques capables d'amplifier la réaction inflammatoire) sur les lieux de l'infection et de favoriser leur sortie du compartiment sanguin : 

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Une fois que les éléments à l'origine de l'infection ont tous été éliminés, l'inflammation se résorbe d'elle même. Chez un individu atteint de la maladie de Crohn, la réponse immunitaire innée présente des dérèglements et semble insuffisante, ne permettant pas d'éliminer efficacement les pathogènes. Cela induit donc le déclenchement de la réponse immunitaire adaptative qui induit des dommages tissulaires importants et donc la destruction d'une partie des cellules du tube digestif.

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Les cellules de l'immunité adaptative s'organisent en granulomes sur le lieu de l'infection. Elles s'attaquent à tous ce qu'elles pensent être étranger et dégradent par conséquent l'épithélium intestinal. Ces lésions constituées vont provoquer de nouvelles réactions du système immunitaire, avec apparition de lésions supplémentaires. Il se crée alors comme un véritable cercle vicieux.

Ce sont donc les cellules de l’immunité et les substances qu’elles sécrètent, qui interviennent dans la constitution de lésions intestinales et les entretiennent de façon chronique. Ce processus inflammatoire est source de complications intestinales: la dégradation de la muqueuse peut se faire jusqu'à induire la formation d'une ulcération, à un stade tardif, dont les résultats peuvent être l'apparition de sténoses et/ou de fistules.

​La sténose : il est possible que l’ulcération se cicatrise, engendrant un rétrécissement de la lumière de l'intestin par la formation de tissu conjonctif et de cellules musculaires lisses , c’est la sténose, qui peut être plus ou moins serrée en largeur et étendue en longueur.

​La fistule : si l’ulcération progresse, la plaie peut devenir plus profonde et provoquer une fissure de la paroi intestinale. Une connexion entre deux anses intestinales lésées ou entre l'intestin et une autre structure anatomique peut s’opérer. Il s’agit alors d’une fistule. Celle-ci peut parfois entraîner l’écoulement d’une partie du contenu intestinal vers un autre organe, intestinal ou non.

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Les individus atteints de maladie de Crohn sont génétiquement prédisposés. Aujourd’hui, le gène de susceptibilité le plus fortement associé à la maladie est le gène NOD2. Il code pour une protéine portant le même nom, et appartenant à la famille des récepteurs NLR (nod-like receptors). On retrouve cette protéine dans le cytoplasme des cellules macrophages, dendritiques, des cellules de Paneth et des cellules épithéliales de l’intestin. Elle est divisée en trois parties : un domaine N-terminal appelé CARD, un domaine central appelé NOD et un domaine C-terminal.

 

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La partie C-terminale de la protéine, composée de répétitions d’un motif riche en leucine (un acide aminé), reconnaît le muramyl dipeptide, constituant du peptidoglycane de la paroi des bactéries. L’interaction entre ces deux molécules induit le déclenchement de cascades de signalisations, dont notamment la voie NF-κB, qui entraîne la production de protéines inflammatoires, comme les α-défensines par exemple. 

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En fonction des mutations pouvant survenir sur le gène, on observe une altération de fonctions bien spécifiques de la protéine :

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- une mutation « perte de fonction » entraînerait la non reconnaissance du muramyl dipeptide des parois bactériennes et donc la non-activation des cascades de signalisations. Une des conséquences de cette mutation serait le blocage de la production d’α-défensines. Ainsi, la concentration en agents pathogènes dans la lumière intestinale serait plus importante, et donc le risque d'infection le serait également.

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- la protéine NOD2 pourrait également réguler la réponse immunitaire déclenchée en partie grâce à la stimulation des récepteurs TLR. Une mutation « perte de fonction » induirait la non-capacité de la protéine à jouer ce rôle. Par conséquent, une réponse inflammatoire exacerbée viendrait endommager les tissus intestinaux.

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- une autre mutation, cette fois-ci “gain de fonction”, sur la protéine NOD2 pourrait également être responsable d’une augmentation des taux de NF-KB et IL1β, caractéristique chez les patients atteints de la maladie de Crohn, cela pourrait, là encore, induire une exacerbation des symptômes inflammatoires observés.

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Le schéma ci-dessous représente les deux dernières fonctions de NOD2 évoquées au dessus, que des mutations perte ou gain de fonctions peuvent venir altérer :

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Si le gène NOD2 est identifié comme étant le premier facteur de prédisposition génétique lié à la maladie de Crohn, il faut néanmoins cumuler plusieurs variations génétiques pour être atteint. Les gènes concernés par ces mutations sont impliqués dans le maintien de la paroi intestinale, la réponse immunitaire innée et l’élimination des bactéries.

On peut citer par exemple le gène XBP1, dont l’invalidation dans l’épithélium intestinal entraînerait un non contrôle du stress cellulaire, c'est à dire l'accumulation anormale de protéines dans le réticulum endoplasmique. Cet anomalie induit une inflammation de l’intestin grêle chez la souris. Ce stress du réticulum endoplasmique qui accumule de façon anormale les protéines serait retrouvé chez les individus atteints de la maladie de Crohn. Cela pourrait donc contribuer au processus inflammatoire dont souffrent les individus malades.

Des mutations de type “gain de fonction” sur le gène NLRP3, codant pour la protéine cryoporine, impliquée dans la régulation de l’activation de l’IL1β, conduirait à une surproduction d’IL1β et donc une inflammation trop importante, mise en cause là encore dans le mécanisme de la maladie de Crohn.

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Quel est le lien entre microbiote intestinal et maladie de Crohn?

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Le microbiote intestinal, c’est-à-dire l’ensemble des micro-organismes qui vivent dans l’intestin, est également mis en cause dans le mécanisme de la maladie de Crohn. Normalement, les interactions mutualistes qui s’exercent entre le microbiote et l’organisme sont réciproquement bénéfiques. La flore microbienne utilise les différents éléments nutritifs présents dans le tractus digestif pour se développer. L’organisme qui les abrite, quant à lui, dispose notamment de métabolites produits par l’activité des micro-organismes ou encore d’une protection contre les agents pathogènes grâce à « l’effet de barrière ». Cependant, un dérèglement de la composition du microbiote intestinal, appelé dysbiose, peut avoir des effets délétères sur la santé de l’hôte. Ainsi, au cours de la maladie de Crohn, est observée une dysbiose pouvant résulter :

-d’une restriction de la richesse microbienne ou de sa biodiversité (notamment dans le groupe des Firmicutes)

-de l’augmentation de sa concentration au niveau du mucus

-de la présence anormale de certaines bactéries.

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Quatre types d’arguments sont en faveur d’une implication du microbiote intestinal dans la maladie de Crohn :

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​Arguments cliniques (caractéristiques observables sur le malade) : l’iléon distal et le côlon, les segments de l’intestin abritant les plus fortes concentrations en micro-organismes, sont les plus touchés par l’inflammation dans la maladie de Crohn. Diverses études ont souligné le fait que ces concentrations sont plus importantes chez les individus malades que chez les sujets sains. Il a également été montré que la réimplantation, dans un côlon traité chirurgicalement, du milieu présent dans l’intestin grêle, provoquait une nouvelle inflammation du côlon. A l’inverse, la réimplantation de ce même milieu, mais cette fois dépourvu de bactéries, n’induisait pas d’inflammation du côlon.

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D’autre part, une souche  d' Escherichia coli aux propriétés particulières d’adhésion a récemment été trouvée sur la muqueuse iléale d’individus malades. Après avoir franchi l’épithélium intestinal et avoir été phagocytées, elles sont capables de survivre et de se développer dans les macrophages, qui sécrètent alors un taux important de la cytokine pro-inflammatoire TNF-α. Les propriétés d’adhérence de ces bactéries pourraient être augmentées suite à la surexpression d’un récepteur ( CEACAM6 ) dans les cellules épithéliales intestinales, à cause d’une mutation génétique. Il se mettrait alors en place un cercle vicieux. L’invasion de l’épithélium par les bactéries entraînerait une augmentation de la sécrétion de TNF-α par les macrophages, qui entraînerait à son tour une augmentation de l’expression des récepteurs etc...Ce phénomène peut se produire au niveau des cellules épithéliales M, que l'on retrouve dans les plaques de Peyer (qui jouent notamment un rôle dans la présentation des antigènes au système immunitaire). Etant donné que les bactéries peuvent se fixer sur les cellules présentant les récepteurs cités plus haut, cela implique la création d'un phénomène de rétention bactérienne, qui est sûrement à l'origine de la concentration élevée de cette souche de bactéries sur la muqueuse intestinale des patients malades.

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Arguments expérimentaux (avancés suite à des expériences menées sur des souris axéniques) : l’implantation de populations bactériennes dans l’intestin de ces souris peut induire des colites (inflammations de l’intestin), qui diffèrent en fonction de la population implantée. Dans la plupart des cas, la présence d’un microbiote est indispensable au déclenchement d’une colite.

 

Arguments génétiques : le système immunitaire a un rôle complexe dans l’appareil digestif. Il doit en effet détruire les agents pathogènes en circulation dans la lumière intestinale (virus, bactéries …), tout en empêchant la mise en place de réponses immunitaires dirigées contre les aliments ou les bactéries non nocives, qui composent le microbiote. C’est le phénomène de tolérance. La reconnaissance des agents pathogènes est régie par les cellules dendritiques. La détection d’un pathogène entraîne notamment la prolifération et la différenciation cellulaire. Des mutations survenant sur des gènes impliqués dans la reconnaissance d’agents pathogènes ou bien la réponse antibactérienne, engendreraient une réponse immunitaire inadaptée envers le microbiote intestinal.

Nous allons ici insister sur l’une des répercussions des mutations du gène NOD2 (entraînant une diminution de l’expression iléale des α-défensines), sur la barrière muqueuse intestinale.

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En effet, les patients atteints de la maladie de Crohn présentent une diminution de l’expression des α-défensines. Ce phénomène est encore plus important chez les patients souffrant d’une mutation sur NOD2. Les α-défensines font parties des peptides antimicrobiens. Ces derniers interviennent dans le contrôle de la composition du microbiote (propriétés bactéricides) et dans son maintien à distance de l’épithélium intestinal. C’est la stimulation de la protéine NOD2, dans les cellules de Paneth, qui permet le déclenchement de la production d’α-défensines. Elles sont ensuite libérées dans le milieu extracellulaire et retenues dans le mucus, où leur action antimicrobienne se doit d’être la plus forte afin de protéger l’épithélium. Dans le cas de la maladie de Crohn, cette diminution du taux d’α-défensines pourrait être à l’origine d’une dysbiose ou d’une invasion de la muqueuse intestinale, augmentant donc le risque d'une infection. Néanmoins, il a dernièrement été avancé par une étude que le déficit en α-défensines serait exclusivement présent en zone inflammée.

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Arguments sérologiques : des taux élevés d’anticorps dirigés contre des micro-organismes constitutifs du microbiote ou pathogènes sont détectés dans le sérum d’individus atteints de la maladie de Crohn.

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Le microbiote intestinal contient donc les éléments capables de déclencher une inflammation et la dysbiose dont il est l’objet pourrait être à l’origine du déclenchement de la maladie et/ou de son aggravation.

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sténos_fistule_rogn.png
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alpga defensine.jpg

Représentation schématique d'une fistule et d'une sténose dans un segment d'intestin touché par la maladie de Crohn :

Source: journal of clinical investigation

Image tirée de Hepatoweb

 Tiré de l'ouvrage : Le microbiote intestinal, un organe à part entière

Schéma illustrant la synthèse d'α-défensines en réponse au microbiote :

Représentation schématique de l'invasion de l'épithélium intestinal par Escherichia coli (EC) et de ses conséquences :

Inspiré de l'ouvrage : Le microbiote intestinal, un organe à part entière

Quels sont les liens entre mutations génétiques et maladie de Crohn?

Schéma représentant le gène et la protéine NOD2 ainsi que les principales mutations pouvant survenir sur le gène

La réponse immunitaire dans l'intestin chez un individu sain et un individu atteint de la maladie de Crohn :

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Image tirée de : Review Crohn disease Segal-2019.pdf

Les différents médiateurs chimiques libérés lors de la réaction inflammatoire :

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Après reconnaissance du muramyl-dipeptide par NOD2, deux fonctions possibles dans l'inflammation

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